Les fils d’Apollon sans plumes





L’imaginaire et l’imagination sont ce qu’il y a de plus important à mes yeux. L’un ne va pas sans l’autre : l’imagination est l’aptitude innée d’inventer et l’imaginaire en est sa représentation. Ils symbolisent les deux i de Lunii. Bonjour à ceux qui passent par là, je suis Maëlle, cofondatrice de Lunii et j’aimerais vous parler ici de ce qui se cache derrière ces deux mots.
Mon dernier article se termine sur la fable de la Cigale et la Fourmi qui, à première vue, met en valeur la figure de la Fourmi travailleuse. Cependant, La Fontaine a voulu y apporter plusieurs degrés de lectures. Je ne l’analyserai pas ici, d’autres se sont prêtés à l’exercice à merveille. Ce qui m’intéresse aujourd’hui dans cette fable c’est l’ode à l’otium philosophicum : cette forme d’oisiveté où l’on profite du temps autrement, où notre esprit vagabonde et s’adonne à rien en particulier… à la réflexion hasardeuse, la méditation, la créativité…
« S’abandonner à toutes les rêveries suggérées par le spectacle infini de la vie sur terre et dans les cieux, est le droit légitime du premier venu, conséquemment du poète, à qui il est accordé alors de traduire, dans un langage magnifique […] il est une âme collective qui interroge, qui pleure, qui espère et qui devine quelquefois. »
Victor Hugo, L’Art Romantique
Est-ce le cas aujourd’hui ? Prenons-nous le temps de rêvasser ? Nos journées sont pleines et notre cerveau aussi. Ce dernier est constamment occupé. Il me semble que de plus en plus de personnes de mon entourage sont insomniaques, si bien que l’être s’en normalise sans le questionner. Notre cerveau n’est-il pas fidèle à lui-même en continuant à l’heure du coucher cette forme d’activité qu’est la pensée éveillée ? Quoi de plus normal s’il n’a pas le temps de digérer tout ce qu’il vit le jour… En outre, avons-nous les bagages nécessaires pour bien nous occuper de notre santé psychique et cérébrale ? Qu’en est-il de l’otium philosophicum ?
« Cette activité mentale, qui nous semble en apparence inutile, est pourtant essentielle pour notre cerveau […]. En effet, lorsque notre cerveau n’est pas concentré sur une tâche précise […], s’active alors un réseau très particulier de zones cérébrales […]. Alors que nous avons l’impression de nous ennuyer, de rêvasser, bref de ne rien faire d’utile, notre cerveau, lui, est au contraire en pleine activité ! Car ce réseau cérébrale est d’une importance capitale pour la bonne santé de notre cerveau et le bon fonctionnement de nos facultés mentales, telle que la mémoire, la concentration, mais également la créativité et la prise de décision. »
Extrait de Mémoire & concentration au top ! du neuroscientifique Thibaud Dumas
Les moins réceptifs à toute forme d’art, de poésie ou de contemplation ne pourront nier que notre cerveau a besoin de ces moments de vagabondage pour être en bonne santé. Cependant, à la place d’instants sains de rêvasserie, j’observe davantage une fatigue mentale qui nous plonge dans une forme d’apathie cérébrale. Nous sommes épuisés et nous nous réfugions dans la première distraction venue. Rien de plus logique lorsque nous observons nos emplois du temps… Et même lorsque nous “ne faisons rien”, nous nous devons de justifier cette “inactivité” à nous-même ou aux autres. Encore une pression supplémentaire sur nos cerveaux fatigués. Pourquoi ne pouvons-nous donc pas rêvasser pour la beauté du moment ? Simplement pour se laisser aller, sans plaidoirie quelconque…
Notre imagination nous mène dans des contrées intimes que nous seuls visitons. Nous avons tous en nous la faculté d’explorer ses paysages par une introspection qui nous est propre. Ce n’est pas un voyage que l’on peut partager sur Instagram, ce n’est pas une suite de slides linéaires avec un début et une fin, ce n’est pas un débat qui jongle d’argument en argument, un combat d’ego dont le seul but est d’avoir raison. L’imaginaire l’emporte toujours puisqu’il est ce que nous sommes au plus profond. Il nous donne la possibilité de nous poser toutes les questions que nous souhaitons et d’y apporter des réponses nébuleuses. Ces dernières ne sont pas toujours réconfortantes, elles peuvent faire peur ou donner espoir mais elles déclenchent des émotions foudroyantes qui nous font vibrer. Les poètes l’ont compris et nous l’ont transmis par leurs textes si transcendants. À y regarder de plus près, écrire la vie en poésie ne serait-il pas à la portée de tous ? Finalement, est ce que nous ne serions pas tous, sans le savoir, des poètes sans plume ? Avons-nous vraiment besoin d’encre et de papier pour vivre poétiquement ?
« Le premier lieu de rencontre entre l’astronome et le poète, c’est la nuit. Unis dans ces heures mystérieuses où s’allument simultanément les lucarnes des étoiles et celles de la rêverie intérieure, astronomes et poètes cherchent à déchiffrer, chacun à leur façon, “le double univers du cosmos et des profondeurs de l’âme humaine” (Gaston Bachelard). »
Jean-Pierre Luminet, Les poètes et l’Univers.
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