L’homme aux mille et un visages

L’imaginaire et l’imagination sont ce qu’il y a de plus important à mes yeux. L’un ne va pas sans l’autre : l’imagination est l’aptitude innée d’inventer et l’imaginaire en est sa représentation. Ils symbolisent les deux i de Lunii. Bonjour à ceux qui passent par là, je suis Maëlle, cofondatrice de Lunii et j’aimerais vous parler ici de ce qui se cache derrière ces deux mots.

Je ne peux pas vous parler d’imaginaire sans évoquer l’ouvrage qui a élargi mes connaissances sur le sujet : Le héros aux mille et un visages du mythologue américain Joseph Campbell. Dans ce livre, Campbell met en parallèle tous les mythes, légendes, religions, contes; plus généralement toutes les histoires qui ont été imaginées par l’homme depuis la nuit des temps et qui constituent dès lors l’imaginaire collectif

En outre, il explique que le mythe est un récit qui nous touche tous car il est porteur des interrogations, des craintes, des peurs, des sentiments que partage l’humanité. Il parle également de quête individuelle : la quête du héros qui va permettre à l’être humain de se découvrir.

Il n’est pas le seul qui explique que les récits mythologiques ont pour but de diriger l’être vers son intérieur. « C’est au symbole qu’incombe la tâche capitale de révéler tels dynamismes, telles masses énergétiques, qui sommeillent dans l’inconscient de l’être », explique Gustav Jung dans la préface d’Un Mythe Moderne. D’après Jung, les symboles cachés dans les récits mythologiques permettent à l’homme d’acquérir la connaissance de soi.

Voici un vieux récit légendaire né en Orient qui illustre bien cette idée : le Prince Cinq-Armes.

Un jeune prince venait de finir son apprentissage militaire sous le commandement de son illustre maître. On octroya alors au jeune prince le nom de «Prince aux Cinq Armes» car il reçut cinq armes, symbole de la réussite de sa formation. Après cet honneur remit par son maitre, il prit la route pour rejoindre son père qui était roi. Lors de son parcours, il passa par une forêt. Il rencontra à la lisière de celle-ci des gens qui le mirent en garde et lui conseillèrent de ne pas s’y aventurer : « Prince, n’entre pas dans cette forêt. Un ogre y demeure que l’on appelle Pelage de Glu. Il tue tous ceux qu’il voit. »

Ayant soif d’aventure et n’écoutant que lui, le prince décida tout de même de s’y rendre. Au milieu de la forêt, le prince aperçu l’ogre. Il était aussi grand que les palmiers autour de lui, sa tête était plus grosse que celle d’une maison, ses mains aussi grosses que des bols à aumônes et sa peau, pleine de pustules, était aussi verte qu’un près en été.

« Où vas-tu ? demanda-t-il. Halte! Tu es ma proie ! »

Le Prince aux Cinq Armes, confiant en ce que son maitre lui avait enseigné, répondit : « Ogre, je savais ce que je faisais en pénétrant dans la forêt. Tu ferai bien de te garder de m’attaquer; car d’une flèche empoisonnée, je te transpercerai le corps et t’abattrai sur-le-champ. » 

Le jeune prince sorti alors son arc et ses flèches trempées dans le poison, et tira sur l’ogre. Elle s’englua dans le pelage de l’ogre. Il tira ainsi, l’une après l’autre, cinquante èches. Toutes s’engluèrent dans le pelage de l’ogre. L’ogre secoua toute les èches jusqu’à la dernière, les laissant tomber à ses pieds. Le Prince aux cinq armes tenta une seconde fois d’atteindre l’ogre avec son épée, en le transperçant de toutes ses forces. L’épée s’englua dans le pelage de l’ogre. Le prince le frappa alors avec sa lance. La lance s’englua dans le pelage. Il essaya de l’assommer avec sa massue. La massue s’englua dans le pelage. Le prince dit alors à l’ogre :

« Maître Ogre, tu n’avais jamais entendu parler de moi auparavant. Je suis le Prince aux Cinq Armes. Lorsque j’ai pénétré dans la forêt que tu infestes, je ne comptais que sur moi-même. Maintenant, je vais te battre et te réduire en poudre et en poussière ! »

Le prince frappa alors l’ogre de sa main droite. Sa main s’englua dans le pelage. Il essaya avec sa main gauche, son pied droit et son pied gauche, tous s’engluèrent. Il le frappa de sa tête, elle s’englua. Malgré la mauvaise position du prince, l’ogre admira le courage de celui-ci. Il se dit : « Cet homme est un lion, c’est un homme de noble naissance – il n’est certainement pas un homme du commun. Car bien qu’attrapé par un ogre tel que moi, il ne parait ni trembler ni frémir. » L’ogre hésita alors à le dévorer. Il demanda :

« Jeune homme, pourquoi n’as-tu pas peur ? Pourquoi n’es-tu pas terrifié par la crainte de la mort?

– Ogre, pourquoi aurais-je peur? Une chose est, en effet, certaine : en une seule vie, on ne meurt qu’une seule fois. Qui plus est, j’ai, dans mon ventre, de la foudre. Si tu me manges, tu ne seras pas capable de digérer cette arme. »

Voilà pourquoi le prince ne tremblait pas.”

Cette histoire est celle de Bouddha lors de sa première incarnation. La sagesse de ce récit consiste à comprendre que la force ne réside pas dans les armes ou dans quelconques objets. Par conséquent, des cinq armes du Prince, la cinquième est la plus forte, à savoir, la foudre cachée en lui. À y regarder de plus près, elle est en réalité l’arme de la Connaissance : la connaissance qui est en lui. Ce récit nous montre qu’il faut se connaître pour savoir où l’on va.

Les mythes modernes ne font pas exception à ce constat. Nés au début du XXe siècle, ils se retrouvent dans la littérature, le théâtre, le cinéma et font l’objet de questionnements comme les anciens mythes avant eux. D’après Brigitte Munier, chercheuse sur l’imaginaire, « il n’y a pas de nouveaux mythes : tout mythe réputé inédit n’est jamais que la réactivation d’un mythe plus ancien ». Dans son livre Robots, elle appuie ce point de vue en argumentant tout au long de son ouvrage les réalités suivantes : les figures et les récits mythologiques qui renferment un thème universel se répètent dans l’Histoire et se retrouvent dans les différentes périodes. Ainsi, la figure du héros est tout autant Luke Skywalker que Bouddha. Tous les héros sont les mêmes, ils changent simplement de visage. Mais pourquoi sont-ils identiques ? 

Car la quête du héros est équivalente : découvrir sa vraie nature à travers les différentes épreuves qu’il affronte. Il doit ressortir de son parcours avec plus de connaissances sur lui et sur le monde. De ce fait, ce sont les héros de ces mythes qui nous montrent le chemin pour mieux connaître l’Homme. L’Homme (tous les Hommes) peut alors s’identifier et y puiser des réponses sur lui-même. 

L’imaginaire est-il une source inépuisable dont l’élixir est la connaissance de soi ? Et la connaissance de soi n’est-elle pas la quête ultime de chacun d’entre nous ? Si tel est le cas, comment apprendre à se connaître ?

Pour découvrir mon billet précédent, cliquez ici.